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Boyhood, de Richard Linklater

Le passage de l’enfance ou de l’adolescence à l’âge adulte est loin d’être une nouveauté au cinéma et encore moins dans l’univers du cinéaste américain Richard Linklater, à qui l’on doit Slacker (1991), Dazed and Confused (1993), films cultes passant à la loupe la jeunesse de la « génération X », ou encore la trilogie Before Sunrise (1995), Before Sunset (2004) et Before Midnight (2013), qui montre l’évolution d’un couple - interprèté par Ethan Hawke et Julie Delpy – d’une décennie à l’autre.

Le réalisateur poursuit ses expériences temporelles dans son dernier film Boyhood, tourné au cours de ces douze dernières années et qui suit par intermittence le parcours de Mason, interprété par Ellar Coltrane, de l’école primaire jusqu’à son entrée à l’université. Véritable voyage dans le temps, Boyhood permet au spectateur de découvrir le parcours du jeune garçon, mais aussi celui de sa famille : sa mère Olivia, interprétée par Patricia Arquette, son père Mason Sr., interprété par le fidèle Ethan Hawke, et enfin sa sœur, Sam, interprétée par Lorelei Linklater.

De séparations en retrouvailles, de divorces en déménagements, le réalisateur évite les scènes attendues (premier baiser, première petite amie, première cuite, première rupture et autres étapes traditionnelles du récit initiatique cinématographique) pour livrer des fragments de quotidien qui tracent délicatement le cours de la vie des personnages tout en invitant l’imagination du spectateur à se déployer pour donner forme à ce qui est laissé sous silence. Il faudrait pour cela saluer le montage tout en légèreté de Sandra Adair, collaboratrice de longue date du réalisateur, qui permet au spectateur de participer lui aussi à l’histoire du jeune Mason. Les références explicites aux évènements de la vie politique (la présidence de George W. Bush, la campagne pour la victoire de Barack Obama) comme de la vie culturelle (les morceaux de The Hives, The Black Keys, Arcade Fire ou encore Gotye rythment le passage du temps) invitent également le spectateur à s’identifier aux personnages en se remémorant sa propre expérience.

Les douze années au cours desquelles s’est réalisé le tournage auraient pu n’être qu’un habile gadget si le réalisateur n’avait réussi à tisser de solides liens entre ses acteurs. Grâce à cela, Linklater parvient à façonner ses personnages pour leur attribuer une véritable profondeur au fil de cette décennie qui défile sous nos yeux. Car le paradoxe du film est précisément de rendre familiers et attachants des personnages que le spectateur ne fait qu’entr’apercevoir l’espace d’un instant. L’émerveillement de les voir grandir et évoluer est à chaque fois renouvelé et ainsi, quelques heures de cinéma semblent contenir des années de vie.

La vie, voilà le véritable sujet de l’expérience cinématographique menée par Linklater. Quels sont les éléments qui constituent une vie ? Suffisent-ils à définir la vie ? Lorsque les personnages, tout comme le spectateur, se retournent sur ce qu’ils ont vécu alors que Mason quitte l’appartement de sa mère pour emménager à l’université, on comprend qu’à travers son film, Linklater a voulu s’interroger sur le temps comme élément constitutif d’une vie. Le temps, qui transporte les personnages à travers différents espaces, qui les amène à rencontrer de nouveaux visages, est à considérer comme l’un des acteurs de ce film, si ce n’est l’acteur principal et nécessaire. En effet, Boyhood nous montre bien que nous ne saisissons pas l’instant, mais que c’est l’instant qui nous saisit.

 

Marianne Renaud

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