top of page

Le singe est un homme pour le singe

Dawn of the Planet of the Apes est d’abord remarquable pour son utilisation de la stéréoscopie. Dénué du moindre gimmick forain habituel ou d’une quelconque emphase de la profondeur de champ, le relief brille par son inutilité totale.


Cela permet a posteriori de jeter un regard sur le sort de la couleur, du son avant elle et finalement du numérique. Autant de paramètres aujourd’hui massivement atrophiés ayant pourtant connu à leur avènement respectif un usage audacieux en forme de plaidoyer : citons la bande-son viscérale de L’Âge d’Or (Buñuel, 1930) et celle littéralement hantée de Vampyr (Dreyer, 1932), les inventions chromatiques de Len Lye dans Rainbow Dance (1936) ou bien plus tard l’impressionnisme numérique des travaux de Jacques Perconte (Satyagraha, 2009 ; Après le feu, 2010 ; Impressions 2012). Jean-Luc Godard reste le seul, en plus de contribuer film après film à intensifier ses relations avec les apports cités, à avoir inventé une figure stylistique redéfinissant d’un coup un possible de la stéréoscopie (Les Trois Désastres, Adieu au langage, sortis tous deux cette année). Le film de Matt Reeves fait donc en quelque sorte figure de pionnier négatif dans sa banalisation (peut-être un peu précoce) du procédé de stéréoscopie et au contraire de l'ajouter comme une corde à son arc, se contente de l'utiliser telle une médaille de vétéran prenant note du temps qui passe.


La Planète des Singes 2 de Matt Reeves intervient donc six ans après Cloverfield dans sa filmographie dans lequel en l’occurrence il avait su se servir du numérique comme base plastique de sa métaphore de la médiatisation de l’attentat du 11 septembre. Passons sur l’aspect pédagogique et politique du scénario de L’Affrontement, « Les extrémistes pour les nuls ».
 

Si le film détonne relativement en fond d’un paysage hollywoodien régnant surtout par son indigence philosophique et esthétique, c’est par le léger trouble qu’il arrive à créer lors de quelques scènes.
Tout d’abord, le fait d’ouvrir son film en empathie avec les singes (hyper-réalistes), en nous habituant peu à peu à leur langage des signes étrangement minimaliste, la narration occasionne une distance inhabituelle lorsque nous rencontrons enfin les humains, croisés comme par accident, en rapport à notre propre mode de communication qui en paraît d’autant plus redondant.
Par la suite, il semble que la véritable contamination dont parle le film est celle que contractent les primates au contact des humains, adoptant peu à peu la prononciation de mots. Jusqu’au renversement brutal où Koba, un macaque, se calque sur la perception qu’ont les humains des singes afin de les duper.
Se dessine alors une petite taxinomie des gestes et une étude de leur rhétorique. À un deuxième degré, Dawn of the Planet of the Apes est un documentaire sur la performance d’un corps, celui d’Andy Serkis - à la fois occulté par l’image de synthèse et révélé dans la captation de ses mouvements - et représente donc le deuxième conte de l’expérience d’un corps étranger de cette année.
Restent alors quelques plans rampant en dehors du rang formaté : celui où la caméra reste un peu trop longtemps fixé sur le toit d’un tank, évoquant un dispositif de surveillance et le dernier où le réalisateur semble se souvenir que les spectateurs portent des lunettes polarisées.

 

6 août 2014

Pierre Philippe

bottom of page