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Pousse royale

Le dernier film de Isao Takahata est l'adaptation d'un célèbre conte japonais appelé le coupeur de bambou datant du dixième siècle. Celui-ci raconte la naissance de la princesse Kaguya dans une feuille de bambou, qui se transforme en bébé au contact de sa mère adoptive et qui devient adolescente en l'espace d'un été.

 

Le style graphique de ce film est à la fois détaillé, simpliste et en perpétuel changement, donnant le sentiment que l'oeuvre se renouvelle de séquences en séquences – tantôt sombres, tantôt claires. Ses dessins flirtent parfois avec l'abstraction (comme lorsque Kaguya s'échappe du palais dans lequel elle ne s'y sent pas heureuse pour retourner en montagne). Cette scène n'est alors qu'un rêve et – à l'inverse de son ami Miyazaki – Takahata apporte une esthétique différente à ces scènes oniriques, tandis que l'auteur du Vent se Lève conserve un certain réalisme lorsque le protagoniste Jirō Horikoshi rêve de son idole.

 

Les thématiques du film sont universelles, violentes et par conséquent porteuses d'une forte charge émotionnelle. En effet, il y a dans Le conte de la Princesse Kaguya l'idée que le bonheur de cette étrange fille et de sa famille se nourrit de la nature et de la pauvreté – offrant une certaine liberté d'action et de pensée à ces protagonistes – et que les responsabilités, la soif du pouvoir ainsi que l'éducation stricte qu'impose par la suite leur statut de famille royale les déconnectent totalement du bonheur. D'ailleurs, à leur emménagement dans ce grand palais, Kaguya se sent emplie d'allégresse face à tant d'espace dans lequel elle s'imagine aisément danser et courir. Cependant elle se rendra rapidement compte que cette richesse soudaine implique un certain art de vivre qu'une princesse japonaise se doit d'avoir, selon les us et traditions du pays du soleil levant.

 

La scène de fête donnée à l'occasion du passage à l'âge adulte de Kaguya marque un tournant ; c'est à partir de ce moment que le film s'assombrit, que les dessins se durcissent, montrant cette princesse qui ne crie plus, ne danse plus, ne sourit plus. Il y a là une véritable intensité, une profondeur qui contraste avec les scènes de son enfance heureuse. Les dessins semblent alors perdrent de leur couleurs joyeuses, de leur éclat, de leur vivacité, laissant place à la noirceur. Kaguya s'isole dans la couture, l'entretien d'un petit jardin où elle y reconstitue en miniature les lieux dans lesquels elle a grandi mais aussi dans la musique. D'ailleurs, le compositeur Hisaishi – qui a maintes fois collaboré avec Miyazaki – apporte au film de Takahata des mélodies d'une rare beauté et légèreté. Sobre, sa musique n'alourdit jamais le propos aussi triste soit-il ; elle élève le film en discrétion.

 

Il y a aussi une notion de burlesque qui alimente cette oeuvre lorsque ses quelques prétendants la comparent à des trésors légendaires (le bol qu'aurait utilisé Bouddha lorsqu'il mendiait dans les premiers temps par exemple) et qu'elle leur demande d'apporter ces objets en guise de preuve d'amour, tout en sachant pertinemment qu'ils n'existent pas, afin de ne pas se marier. Trois années s'écoulent, ces quelques hommes reviennent avec des objets de contre-façon et tentent de lui faire croire qu'ils ont lutté hardiment pour acquérir ces biens mythiques. Dans l'une des scènes, un personnage lui apporte la toison du rat de feu qu'elle exige de brûler afin de vérifier qu'il ne s'agit pas d'un énième mensonge. Plus tard, l'Empereur de la ville tombera sous ses charmes et aura de plus en plus envie de l'épouser au fur et à mesure qu'elle le rejettera.

 

Vous l'aurez compris, le dernier film de Takahata dont le graphisme s'apparente presque à de l'aquarelle ou a de la peinture sur soie, fait part d'une certaine nostalgie japonaise, celle de la ruralité, à une époque médiévale où Tokyo n'était pas encore habitée par trente millions de personnes. Il y a dans ce film de l'amour paternel, maternel, de la violence, les codes de la royauté d'antan, une omniprésence de la nature, la lutte entre l'enfance joyeuse et les obligations de l'âge adulte. C'est une oeuvre qui ne peut laisser personne de marbre tant les thématiques sont universelles et brutales. Un film riche en émotions intenses et nuancées. A voir, au plus vite !

 

 

22/07/2014

Ivo Da Silva Santos

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