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Il faut tenter de vivre

La dernière oeuvre du cinéaste japonais Hayao Miyazaki est entièrement construite sur la déconstruction de ce qu'a créé l'homme et de son corps lui-même.


En effet, comme dans toutes ses oeuvres c'est la nature qui est maitresse de l'humain, et non pas l'inverse. Le Vent se lève commence alors par un tremblement de terre qui implique la démolition de plusieurs villes japonaises – faisant référence au séisme de Kanto en 1923 –, rappelant la révolte de la forêt et de ses créatures contre l'Homme dans Princesse Mononoké (1997) ou plus récemment le tsunami dans Ponyo sur la falaise (2008). Ensuite, l'histoire racontée est celle de Jirō Horikoshi - un ingénieur en aéronotique japonais - principalement connu pour avoir créé l'avion de chasse Mitsubishi A6M Zéro. Dans Le Vent se lève le personnage est obsédé par l'idée de dessiner des avions, ce qui le déconnecte totalement du monde. Il semble qu'il y ait un combat dans l'esprit de Jirō car il ne parait pas assumer pleinement le fait de construire des avions assassins, servant à l'armée japonaise pour faire la guerre et par conséquent tuer. Il y a là donc une destruction de l'humain par l'humain et non plus uniquement par la nature, qui reprend cependant le pouvoir quand sa femme Nahoko voit son corps se détruire par la maladie de la tuberculose.

 

La dimension poétique et romantique est présente dans le titre déjà, issu du poème Le cimetière marin de Paul Valéry (1920), mais fait aussi référence aux événéments liés à la rencontre, aux retrouvailles et à la séparation de Jirō avec Nahoko. De plus, elle réside selon moi dans les plans larges des vols d'avions, l'ambiance volatile et aérienne du film qui place le ciel en personnage principal. La démesure – voire la déraison – que prend leur relation d'amour aussi, complètement irresponsable, sujette au désir de passer le plus possible de moments de vie ensemble avant que la mort ne les sépare, au lieu d'accepter réellement l'état critique de Nahoko. D'ailleurs, c'est surtout à ce moment que l'on se rend compte à quel point Jirō est un homme égoïste, proposant d'emménager avec elle au lieu de la laisser se soigner dans un sanitorium et fumant même une cigarette à ses côtés en dépit de sa maladie au lieu de sortir de la maison – bien que ce soit elle qui lui ait proposé de rester, par amour (et folie) sans doute. Miyazaki dresse alors un portrait touchant de cette femme qui se maquille chaque jour pour faire bonne figure et qui débarasse son mari lorsqu'il rentre le soir, alors qu'elle a pour conseil de rester allongée.

 

Jirō a d'ailleurs un caractère qui ne ressemble à aucun autre personnage de Miyazaki ; en effet, c'est bien la première fois que l'on peut voir à l'écran un homme si obsédé par ce qu'il aime qu'il en oublie de voir sa famille, si pris par ses ambitions qu'il préfère vivre avec Nahoko non loin de son bureau plutôt que de tout plaquer pour la suivre. C'est en ça qu'il est à la fois très humain (rien n'est plus compréhensible - bien que pas tolérable - qu'un homme si passionné) et très dérangeant. On ne sait si on doit le détester ou l'aimer. Qu'importe, il est complexe et c'est ce qui fait – en partie – de ce personnage l'un des plus riches du cinéaste.

La musique est très présente dans Le vent se lève. Une nouvelle fois l'on se rend compte de l'intérêt que porte Hayao Miyazaki à l'opéra, qu'il mèle – intelligemment, toujours sans pathos – avec des musiques japonaises, sur des images romantiques, sensuelles, délirantes, grandioses, poétiques,... voire même éternelles. Le cinéma de ce réalisateur a donc une dimension lyrique et Le Vent se lève laisse lui aussi beaucoup de place à l'expression des sentiments de l'auteur. Exaltant.

Vous l'aurez compris, la dernière oeuvre de Miyazaki est comparable à un bijou certes, mais une sorte de collier qui vous serre le cou, vous étouffe avant de se rompre et de vous offrir la possibilité qu'est de se sentir respirer, vivre. C'est un film qui – en plus de sa dimension poétique – se nourrit de l'histoire du pays du soleil levant mais aussi du monde ; relatant la Grande Dépression, l'épidémie de tuberculose ou encore l'entrée du Japon en guerre. Bref, pendant la projection vous aurez les yeux grands ouverts et en sortant du cinéma le coeur serré. Bravo et merci Miyazaki!

 

29 janvier 2014

Ivo Da Silva Santos

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