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Fascination

Ricky de François Ozon, sorti en salles en 2008, est l'adaptation d'une nouvelle issue des Ténèbres de Wallis Simpson de Rose Tremain.

Le film débute par une scène où Katie, en larmes, confie à une assistante sociale son désespoir d'élever seule et sans grands moyens financiers ses deux enfants. Il s'agit alors d'un flash-foward. Cette scène laisse présager que Ricky est une fable sociale et ne nous laisse aucunement imaginer la dimension fantastique du film.

Le récit est entièrement construit en ellipses, passant de la banlieue parisienne à l'usine dans laquelle Katie et Paco se rencontrent. C'est de leur passion que naît Ricky. Quelques semaines plus tard le couple se sépare car Katie découvre des hématomes sur le dos de Ricky et accuse Paco de l'avoir fait tomber. Elle se retrouve de nouveau célibataire, à élever cette fois-ci deux enfants. Le scénario vire alors au fantastique, tandis que la mise en scène reste ancrée dans le réalisme ; les effets spéciaux restent centrés sur le corps de cet étrange enfant. L'on découvre que des ailes poussent dans le dos de Ricky et s'enchainent alors des scènes – plus ou moins cocasses – où Katie et sa fille tentent de les cacher, refusant de se résoudre au fait que l'appartement est trop petit et dangereux pour son développement physique. Le bébé s'échappe, lorsque Katie et Paco (revenu car son enfant lui manquait) acceptent de le montrer à la télévision en échange d'une somme d'argent.

Ce film témoigne de la perte d'un enfant, de la façon la plus poétique qui soit, en utilisant l'allegorie.  L'idée d'apporter de l'onirisme au quotidien des protagonistes du film qui vivent en banlieue parisienne était un pari osé. Loin des ambiances et cadres ultra léchés qu'on retrouve bien souvent dans les adaptations de conte dans les films merveilleux, Ozon se permet la différence en choisissant des endroits qui n'ont rien ou presque d'onirique ; l'appartement et la banlieue dans lesquels vit Katie ou encore l'usine où elle travaille. Seule la tapisserie de la chambre du petit Ricky où sont dessinés ciel et nuages peut éventuellement nous mettre sur la piste de l'identité de cet enfant. Alexandra Lamy, quant à elle, est surprenante en offrant un jeu naturaliste et spontané, qui sert à la dimension réaliste de film.

Une des scènes du film, pourtant très simple, est remarquable ; bien avant la découverte de la singularité de Ricky et le départ de Paco, ce dernier demande à Lisa la partie du poulet qu'elle veut manger. Elle exige d'un air étrange et d'un ton certain l'aile. Dans cette scène le son a son importance; déjà car les bruitages du contact de ses dents et mains avec le poulet participe à l'étrangeté de la scène tant ils sont appuyés et ensuite, parce qu'ils sont assemblés avec un son hors-champ quand Katie allète Ricky. D'ailleurs, les quelques scènes où la fillette se retrouve seule avec son petit-frère font froid dans le dos ; on croit d'abord que c'est elle qui a provoqué ses hématomes et par la suite qu'elle va découper ses ailes à l'aide de ciseaux, sans doute pour qu'ils soient sur un pied d'égalité tant leur mère semble préoccupée et fascinée par Ricky.

Après la révélation identitaire du bébé, Ozon continue de nous tenir en haleine tout au long du film ; on se demande à plusieurs reprises ce que va devenir Ricky et on se consterne à l'idée d'imaginer que Katie ne le retrouvera peut-être jamais, tant on s'est attaché à ces personnages.

Vous l'aurez compris, ce film de François Ozon est un drame fantastique original et osé – peu de films français se permettent ça... – dans lequel la rupture de ton déroutante flirte parfois avec le ridicule. Il y a dans Ricky l'espérance de tomber à nouveau amoureux, de refonder une famille et de vouloir garder son enfant à tout prix auprès de soi lorsque cela est impossible. Ozon signe une nouvelle fois un film d'une valeur incommensurable à l'image de Swimming Pool (2003) et de Dans la maison (2012). Malheureusement son dernier long-métrage à ce jour Jeune et jolie (2013) manquait cruellement de relief et d'ambiguïté. Espérons que son prochain film Une nouvelle amie (prévu en salles pour novembre prochain) relève le niveau. A suivre...

 

23 juillet 2014

Ivo Da Silva Santos
 

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